mardi 21 octobre 2008

LE SYNDROME D'ULYSSE


EL SINDROME DE ULISES

( LE SYNDROME D'ULYSSE )

traduit de l'espagnol (Colombie) par Claude Bleton


Ce que j'aime vraiment chez Gamboa et que j'avais déjà remarqué dans Les captifs du Lys Blanc, c'est la dimension internationale de ses romans (sans vouloir généraliser, vu que je n'en ai lu que deux pour l'instant...).

Ici encore, à travers cette fois le thème de l'immigrant à Paris, il parle des colombiens, bien sûr, de par son origine, des latino-américains, mais aussi des arabes, des slaves, des coréens, turcs, africains, etc (et aussi des Parisiens!) - et pas juste en surface - son personnage principal côtoie ce petit monde au quotidien et nous offre un aperçu de leur vécu, leurs expériences, leurs épreuves, leurs espoirs, désarrois, un vrai documentaire digne d'Envoyé spécial.
Immigré par choix, réfugié, exilé, clandestin, tout est exploré. J'ai beaucoup aimé la façon dont chaque histoire personnelle était exposée, à la première personne, un témoignage direct glissé subtilement en cours de narration, sans voyeurisme ou apitoiement, juste une réalité de la vie.

J'ai été particulièrement touchée et troublée par la vie de Jung, nord-coréen, une histoire qui me hante encore là après avoir fini le roman.

J'ai aimé aussi redécouvrir Paris à travers la plume de Gamboa, parce que c'est le Paris quotidien, populaire, et non glamour et touristique que l'on retrouve souvent dans les romans qui ont Paris comme scène principale - on y parle de Gentilly, Cité U, mais aussi de Blanc-Mesnil, des chambres de bonne, des bas-quartiers, du système D, etc... Une réalité sociale que l'auteur décortique avec justesse et dont il témoigne avec beaucoup de pertinence et de lucidité, en fin observateur. C'est ce côté observateur et citoyen du monde aussi que j'aime chez lui, on sent qu'il a côtoyé toutes sortes de personnes, voyagé, plongé dans différentes cultures.

J'ai noté ce passage sur Montréal parce que j'ai ressenti le même enthousiasme quasiment mot pour mot:
"Je lui demandai comment était la vie à Montréal et Sabrina devint soudain très nostalgique: c'est une ville merveilleuse, les gens sont aimables, tout est bon marché, tout est facile, rien à voir avec ici, je te jure, c'est un pays où on a envie de vivre."

Ce passage sur Paris m'a aussi beaucoup amusée:
"... et surtout l'envie d'être ailleurs, là où le soleil brille et la vie est plus heureuse, un sujet sur lequel les Parisiens sont intarissables quand ils se réunissent, car c'est à ma connaissance la seule ville que ses habitants rêvent de quitter tout en faisant l'impossible pour pouvoir y rester."

Ce qui me plaît aussi chez Gamboa, c'est qu'il s'attache aussi dans ses romans à explorer un autre thème qui m'intéresse forcément, la littérature, et ce de façon particulièrement critique et instructive.

Sur la littérature arabe et la littérature latino-américaine:
"Ils en critiquèrent quelques-uns, les accusant d'écrire en suivant le stéréotype du Maghrébin en Europe, ou, ce qui revenait au même, en confortant l'image que les Européens se font du monde arabe, et en remplaçant la réalité par le cliché, ça ressemble un peu à la démarche de certains auteurs d'Amérique latine, je me dis, qui écrivent pour les Européens en leur donnant exactement ce qu'ils attendent d'un Latino-Américain, à savoir exotisme et évasion.
[...] Khaïr-Eddine répliqua: je suis d'accord, mais la littérature de ton continent comporte aussi un élément politique, car elle est liée au rêve du socialisme et à la révolution cubaine."
[...] Et j'enchaînai: 
- La conséquence, c'est que certains écrivains pas très talentueux se sont réfugiés dans "l'engagement" comme sauf-conduit littéraire. Ils sont au premier rang de toutes les activités politico-culturelles organisées par l'establishment européen et ils jouent le rôle qu'on attend d'eux, qui est de susciter la pitié...
Khadim déclara qu'on pouvait trouver ce genre d'auteurs dans toutes les littératures du tiers-monde, et il précisa: c'est un produit de la crise. Khaïr-Eddine approuva et dit:
- Ceux qui vendent ça aux lecteurs du Premier Monde vendent une souffrance qui ne leur appartient pas. Une douleur qu'ils prétendent représenter et surtout dénoncer, mais dont ils tirent aussi des profits...Je les ai vus! Ils vivent très bien, ils se pavanent, sont choyés partout, et leur compte en banque gonfle en proportion de la douleur pour laquelle ils militent."

(vraiment curieuse de savoir de qui ils parlent! :))

Ici à travers une interview palpitante, vraiment éclairante, d'un écrivain péruvien (Julio Ramón Ribeyro) sur la litterature latino-américaine.
Je ne peux bien évidemment pas tout recopier mais il aborde entre autres les questions et points suivants:

- la réalité sociale des dernières décennies dans la littérature latino-américaine.
"La réalité à laquelle vos nouvelles font allusion, je lui dis, est celle des années 40 et 50, comme presque toujours dans la littérature latino-américaine de votre génération, ne craignez-vous pas que la réalité postérieure à ces années risque de rester inédite?
Votre observation est très juste, en effet la plupart des prosateurs de ma génération traitent dans leurs livres de cette société latino-américaine qui se situe entre les années 30 et 50, parfois jusqu'au début des années 60. Pour quelle raison? [...] Nombre d'entre eux sont retournés au pays de façon sporadique, ils y ont même fait des séjours plus ou moins longs, mais la fracture avait eu lieu, le pays que nous revoyons est différent, nous ne le comprenons plus, nous ne pouvons plus écrire sur la réalité actuelle avec la connaissance, l'intensité et l'assurance de ceux qui ne l'ont jamais quitté... En ce qui concerne les années postérieures à 1960, je ne vois pas encore très bien qui sont les prosateurs qui peuvent en rendre compte. Mais j'avoue que je ne m'intéresse pas de très près à la littérature latino-américaine. Il y a sûrement de jeunes écrivains qui abordent les thèmes les plus brûlants de ces dernières décennies, les dictatures militaires et leur chute, l'exil et le retour d'exil, la subversion et le terrorisme, le trafic de drogue et la corruption, l'endettement et l'hyperinflation, avec les répercussions concrètes sur l'individu, l'être humain, ce qui en définitive constitue la matière de la littérature."

(vraiment intéressant ce passage!)

- "la nouvelle décrit-elle une réalité de façon plus complète et diversifiée que le roman?"

(il est vrai que la nouvelle est un genre particulièrement populaire dans la littérature latino-américaine)

- le réalisme magique:
"En ce qui concerne le réalisme magique, ou le "réel merveilleux", comme on l'a aussi appelé, je ne sais pas quoi dire. Cette manie de considérer le réalisme magique comme une caractéristique de la littérature latino-américaine me semble être une invention d'Alejo Carpentier, dans un prologue d'une édition du Royaume de ce monde. Il invente le terme et le concept, qu'ensuite les critiques, le plus souvent européens, et surtout les écrivains latino-américains eux-mêmes, reprennent pour argent comptant. [...]"

(le fameux réalisme magique des romans latino-américains! :) )

J'ai par contre trouvé ce roman moins déluré que Les captifs du Lys Blanc, l'humour n'y était pas aussi présent  - le thème sans doute n'offrant pas les mêmes opportunités aux rires, quoique le ton ne soit pas dans la gravité pour autant. Pour tout dire, ça m'a assez étonnée car avec Les captifs du Lys Blanc, je pensais que Gamboa était juste un rigolo, mais il est bien plus profond qu'il n'y paraît.
En tout cas, beaucoup de tendresse, d'humanisme... et de sexe! Du cru, du hard, du à gogo, de la compil' de best-of de films porno... c'est peut-être ici que je me suis le plus esclaffée tellement c'était too much et qu'on sent que l'auteur s'en amuse.

En passant, je n'avais pas fait attention à la couverture, jusqu'à ce je montre le livre à un ami qui s'est exclamé "Ah! dis-donc la couverture haha!" et moi "quoi, quoi qu'est-ce qu'il y a?" et je vois cette image qui depuis me parait tellement évidente que je ne vois qu'elle - (une couverture que j'aurais pu mettre dans le tag des lectures embarrassantes :) ).

Un roman qui m'a vraiment enthousiasmée, un auteur que je relirai avec grand grand plaisir!

L'auteur
Santiago Gamboa est né à Bogota en 1966. Journaliste, il a vécu en Espagne, en Italie et en France. Il est actuellement attaché culturel de la Colombie à l'Unesco. Il est l'auteur de Perdre est une question de méthodeLes Captifs du lys blanc et Esteban le héros.

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